La télé a mangé mes idées
Léonie a 7 ans et ce matin elle se sent toute bizarre en se réveillant.
Quand maman lui demande ce qu’elle souhaite pour le petit-déjeuner, elle n’en a aucune idée.
Au moment de s’habiller, impossible de choisir entre la robe verte et la rose.
Dans la cour de récré, quand c’est à son tour de choisir à quoi jouer, rien ne lui passe par la tête.
Il n’y a qu’une seule chose que Léonie sait: vivement qu’il soit 16h qu’elle puisse retrouver sa nintendo et sa série préférée. Là, au moins, plus de question, plus de brouhaha dans sa tête, elle peut enfin se reposer.
16h, la sonnerie retentit, youpiiiie ! Maman est déjà là. À la maison, il y a une nouvelle règle pour ne plus se disputer avec Arthur concernant le programme. On met un chrono et c’est chacun son tour.
Arthur, lui, les écrans ce n’est pas trop son truc, il s’en moque un peu mais ça l’embête que je ne joue pas avec lui alors il trouve plein d’idées pour venir m’ennuyer. Le chrono sonne, zut… ça passe toujours trop vite.
Je demande à maman pour prendre la Nintendo ou son téléphone mais elle me répond que non, un écran est un écran et que mon temps est écoulé.
Qu’est-ce que je vais bien pouvoir faire? Papa est encore au travail, maman est occupée entre le linge, le diner et ses mails, elle dit que je dois trouver de quoi m’occuper. Je râle et tourne en rond, la maison déborde de jouets mais je n’ai envie de rien. Alors, je me cache dans un coin et profite du temps d’écran d’Arthur. Ce n’est pas très intéressant ses dessins animés de bébé mais bon au moins, je peux continuer à regarder la télé.
On est mardi et après l’école mes parents m’emmènent voir une madame pour parler de mes émotions. Je ne sais pas trop ce que je vais lui raconter car d’accord parfois je fais des crises mais elles vont bien mes émotions. Papa et maman expliquent que je regarde beaucoup la télé et que je préfère manger des bonbons et du chocolat plutôt que des pommes et des carottes. Jusque là, je ne comprends pas très bien le lien avec mes émotions… Et puis, ils vont vraiment étaler toute ma vie à cette dame qu’on ne connait même pas?
Ouf, ils s’arrêtent de parler. « A ton tour Léonie » Oh non, pas ça, je n’ai rien à raconter moi. Les émotions il y en a plein dans ma tête, tout le temps. Elles s’embrouillent, se mélangent, dansent, sautillent. La joie rencontre la tristesse qui se transforme en peur, me fait exploser de colère et puis et puis et puis… ben ça part dans tous les sens. J’essaye de lui expliquer tout ça sans avoir l’air d’être bizarre. Et puis, je commence à la sentir venir cette question qu’ils me posent tous et à laquelle je ne sais jamais répondre « Pourquoi Léonie? ». Pourquoi? Ça je n’en sais rien, c’est ce que je ressens, c’est tout,
La dame s’appelle Madeleine. C’est joli comme prénom, elle s’appelle comme les biscuits que mon frère adore pour le goûter. Au final, pas de « pourquoi? », Madeleine m’écoute attentivement. Elle m’explique comment fonctionnent mon corps, mes émotions et mon cerveau. Elle m’explique aussi que si j’aime tant le sucre et les écrans c’est parce qu’ils endorment toutes ces émotions qui dansent dans mon corps et m’en font voir de toutes les couleurs.
Tout à coup, je me fige, mon coeur fait des bonds de joie, mes yeux se remplissent de larmes de bonheur. Madeleine m’explique qu’en plus d’endormir mes émotions, les écrans me font perdre ma créativité. Je n’osais pas en parler à papa et maman mais je sentais bien moi qu’il y avait plein de choses que je ne savais plus faire comme avant ou comme mes copains. Madeleine me dit alors qu’en réduisant mon temps d’écrans, en prenant le temps de déposer mes émotions de la journée et en recommençant à jouer et bricoler, je pourrai retrouver ma créativité. Me voilà soulagée.
Le soir venu, papa et maman demandent à nous parler. Ils veulent instaurer de nouvelles règles. Fini les écrans en rentrant de l’école et le sucre dorénavant c’est seulement pour le goûter. Les premiers jours j’ai vraiment trouvé cela difficile. Maman avait beau me proposer une tonne d’activités, rien ne m’amusait. Je ne savais pas quoi dessiner, à quel jeu jouer, j’étais impatiente et j’avais du mal à me concentrer. Après une semaine, un phénomène magique s’est produit, je me suis réveillée et à a place d’allumer la télé, j’ai eu envie de dessiner. J’avais plein d’idées, de couleurs, d’images partout dans la tête. Au final, j’y ai même rajouté des auto-collants et des paillettes, je pense que c’est le plus beau dessin que je n’ai jamais fait. A la récré, j’ai proposé à mes copines d’inventer un nouveau jeu, elles ont adoré! Ce soir, j’ai eu une idée. J’ai pris une feuille, mes stylos à paillettes et de ma plus belle plume j’ai eu envie d’écrire quelques mots à la madame au nom de biscuit.
Chère Madeleine,
Je pense que la semaine qui a suivi notre rendez-vous a été la semaine la plus difficile de toute ma vie mais du fond de mon coeur aux émotions en pagaille, MERCI !
A présent, j’ai retrouvé ma joie de vivre et mon imagination. Pour te le prouver, je te joins mon plus beau dessin. Léonie
Copyright: Eline Van Lysebeth
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